Texte: Rachel Morse
Interprétation: Solo Fugère
Beau temps
Je ne sais pas exactement d’où surgit ce congé impromptu.
Peut-être que je suis fatigué·e et ai décidé de ne pas travailler aujourd’hui
Que c’est assez. Que j’en fais assez.
Peut-être que je suis un peu malade.
Peut-être que je fais semblant de…
Peut-être qu’il n’y a plus de connexion ou d’électricité.
Sais pas.
Ce que je sais c’est qu’aujourd’hui on est jeudi, un jeudi ordinaire.
Je me dis que je vais prendre un break.
J’étudie dans ma paresse forcée les pas de mon chat,
ses rituels,
J’apprends ses gestes.
Je ralentis par accident.
J’apprends la chaleur qui émane des calorifères.
On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a et ce qu’on n’a pas et ce qu’on aura jamais.
Il n’y a pas de break ici
C’est pareil chaque fois – si peu habituée de disposer de mon temps à mon gré, Que quand vient le temps je le sais plus.
Est-ce que je devrais en profiter pour -
Saisir ce temps surprise et –
Des tâches ? Des obligations ? D’autres affaires pas sexy ? Rendre ce temps utile? En faire une célébration très adulte ? Gérer des affaires- non.
Le temps d’y penser une heure est déjà écoulée, j’enfile mes souliers plus le temps de niaiser.
La porte m’attendait.
Devant les possibles infinis que m’offrent cette journée, je choisis accidentellement d’être dehors
Il y a quelque chose d’invitant, chaque printemps, qui me donne envie d’enlever mes bottes Un peu trop tôt toujours
Trop tôt les orteils
Bottes
Sloche
Petit vent pareil
Regrets
Passage obligé de la sloche au pied
De petit froid mouillé – printanier
Les souliers conviennent pour ma marche mondaine
Pas loin au coin
Mais le sol de la forêt a vite fait de se moquer de mes urbaines semelles
J’arrive ici conquérante
On ne se connaît plus
Je suis
J’étais souvent ici avant
Salut
Je vais essayer de pas –
Je suis ici, mais c’est comme si pas
Pas trop déplacer de sloche
‘tention, scusez.
Chaque pas
Trempe
Crounch
Pop
Jour de sloche, tout est coulant
Chaque pas
Chaque pas menace de me péter la yeule Chaque pas
Chaque pas
Je regrette mes bottes
Je me dis, chaque année
Chaque année les souliers
Chaque année que je tords mes bas
De me dire
Calice hein
Tout le temps en train de
Ratatinée
Toute une année
Toute une vie
Esti
À me promener les orteils rabougris
C’est grand ici,
Dans mon souvenir plus petit
Y’a quelque chose qui a changé d’échelle Sans que je le sente,
Ça a changé
Tout a poussé
Je ne reconnais pas mon sentier.
Le bonheur est sur le – ta yeule
On veut voir une grande muraille,
un grand canyon,
une grand’ville-pomme avec de grands immeubles,
une grande roche avec un trou dedans, une grande montagne enneigée,
des grandes structures de pierres pyramidales, un grand désert,
une grande grotte,
une grande ville en glace,
des grandes merveilles du monde
Du grand toute
C’est plus aussi grand qu’avant icitte Mes yeux
Chaque année mes yeux
Les cristaux liquides
Mes yeux
La couleur reste,
Le filtre change
Mes yeux.
La quête de dépaysement,
d’un choc,
d’une nouvelle affaire,
d’un crochet sur la liste-chaudière
est cyclique.
Et d’habitude ça fonctionne,
on a le privilège que ça fonctionne
d’habitude notre privilège fonctionne. D’habitude quand on se tanne,
on prend congé,
on pogne notre sac, nos cliques, nos claques
pis on va voir une grande affaire qui va nous replacer l’humain, la perspective,
les affaires à bonne place pour que la brûlure mentale s’efface. Mais là ça marche pas,
D’habitude –
Mes p’tites semelles
Mes p’tits souliers
Peut-être que l’eau y arrivera,
L’eau d’habitude
La vastitude de l’eau
Les chutes
Un kayak
Je loue l’eau
Je m’emprunte une embarcation
Je prends l’eau, déjà mouillée
Aux genoux
Je me dis
Why not
Aussi bien aller une coche plus loin
J’entre la patente en plastique complexe
Yen avait plus des simples
C’est jamais simple,
J’entre un kayak
Double – pas comme moi
Des cordages,
Une rame
Je m’élance
Je trouve le lac
Je rame pis me dis
Comme chaque fois
Criss
Pas en shape
Mal aux bras –
Hey
Faudrait
Hein
Je m’arrête
Avec l’envie de contempler
Ou quelque chose comme ça
De regarder le grand
De l’absorber
Je m’arrête
Pis j’me dis
Si on chavire icitte j’mas être en tabarnak Pas que c’est pas beau
C’est juste que dans l’eau
Y’a des barbeaux
Pis les algues
Pas des blagues
Ont l’air empoisonnées
Pas ben l’goût d’me baigner
Icitte
Pagaie deux trois mètres
Va vers le grand hêtre
Évite le héron
Je sais pas si y’est bon
Une fois dans le milieu du lac
Moins choquée de prendre une débarque Parce que la végétation pis les poissons
Sont trop creux pour que je les remarque
On a une entente à l’amiable
J’touche à rien qui leur appartient
Pis ils me laissent passer comme rien
On est comme l’eau pis l’huile
La nature pis moé
On s’aime autour d’un pain en bonne guédille Mais pas obligé de fusionner
À la fin de la journée, chacun notre côté
On va s’en aller
En paix
Mais si je chavire icitte, tusuite, j’mas être en tabarnak
Entre l’immense et le microscopique.
Quelque chose de salutaire
Mais j’ai la chienne
Qui me pogne
Quand j’arrive trop proche
Ça me prendrait un ado
Qui débarque
Pis qui me défie
Pas game de plonger
Non effectivement
Passé l’âge
Pas le goût
Pas de tes crisses d’affaires
Si je plonge ou pas
C’est congé
T’es déjà mouillée jusqu’aux épaules
Manque juste la tête
Ti-cass
Pas game de sauter
Dans l’eau froide
De sloche
Splouche
Frette
En sacrament
Mes vaisseaux atrophiés me rappellent que je ne sais pas très bien nager L’hypothermie me guette, le décompte tourne
J’aurai fait quelque chose aujourd’hui
Profité du beau temps
Hein
Vraiment reposant de couler ici,
Je pense plus à mes souliers.